Jus de vidanges.

J’avais 13 ans lorsque j’ai commencé à traverser le fleuve Saint-Laurent pour me rendre au centre-ville. Je débutais mon secondaire au Collège Sainte-Marie situé au coin de la rue de Bleury et du Boulevard Dorchester (maintenant René-Lévesque). Nous sommes en 1959, et il n’y avait pas de métro ; l’autobus traversait le pont Victoria. Du côté de la Rive-Sud, le trajet nous faisait passer par les chemins en spaghetti qui nous permettent de contourner les écluses de la voie maritime. Rendus de l’autre bord, du côté de Montréal, nous pouvions voir des douzaines de camions déverser des tonnes de vidanges dans l’immense dépotoir situé sur les berges du fleuve. Je ne me souviens pas d’avoir été offusqué outre mesure ; l’environnement ne faisait pas encore partie de nos préoccupations et, dans mon esprit d’adolescent, les adultes devaient savoir ce qu’ils faisaient.

Le dépotoir, situé au sud du quartier Pointe-Saint-Charles, faisait partie de notre quotidien ; il avait été ouvert en 1860, il y a plus de cent cinquante ans ; ça fait beaucoup de vidanges. Le pire c’est de penser que tous ces rebuts sont encore là. Le dépotoir a été fermé au début des années soixante non pas par souci pour l’environnement, mais pour faire place à un stationnement de 25 000 places pour les visiteurs de l’exposition universelle de 1967. Le temps pressait, donc pas question de nettoyer le site. De brillants planificateurs urbains ont trouvé la solution ; recouvrir le tout par de l’asphalte. Le dépotoir était disparu ; loin des yeux, loin de la mémoire. Pour une fois, j’aurais aimé que les autorités fassent l’autruche, ce qu’ils font souvent, et aillent voir ce qui se cachait en dessous des pissenlits.

Mais un dépotoir est un dépotoir. L’asphalte n’a pas réussi à empêcher les biogaz de s’échapper et les utilisateurs du stationnement de l’Autoparc Victoria étaient accueillis par des odeurs nauséabondes qui n’avaient pas leur place dans un cadre champêtre comme les rives du majestueux Saint-Laurent. Non seulement l’air était vicié, mais certains propriétaires de voiture découvrirent des dommages à la peinture de leur automobile causés par des gaz qui s’échappaient du dépotoir.

Après l’Expo 67, le gouvernement fédéral décide d’installer sur le dépotoir un aéroport pour des avions à décollage courte-distance pour relier le centre-ville d’Ottawa et celui de Montréal. Si au moins ils avaient décidé de relier Montréal à Toronto, mais à Ottawa ? L’Adacport, c’était le nom qu’on lui avait donné, a été un échec tout comme l’aéroport de Mirabel qui avait été construit à la même époque. Je me souviens encore des photos des pistes abandonnées qui gondolaient au gré des mouvements de sol. La ville a ensuite eu la brillante idée d’y installer un Technoparc. Encore un échec ; qui veut s’installer sur un tas de vidanges.

Encore aujourd’hui le dépotoir fait des siennes et laisse échapper des jus de vidanges, un cocktail toxique de produits chimiques qui se déversent directement dans le fleuve en passant en dessous de l’autoroute Bonaventure. Les autorités ont installé un barrage de confinement composé de tubes près des berges et visibles du pont Victoria. Ces tubes ne font que capter la pollution de surface et ne règlent rien. Une solution vient enfin d’être annoncée. La Ville de Montréal construira un écran d’étanchéité en ciment et un système de captage des eaux souterraines. Ces jus de vidanges seront ensuite traités par une usine de traitement qui sera bâtie sur place. Les travaux seront terminés en 2020 disent-ils et coûteront 50 millions. La semaine dernière, j’ai traversé le pont Victoria, j’ai bien vu des dizaines de cônes orange sur Bonaventure, mais pas de travaux.

La pratique d’utiliser le fleuve Saint-Laurent comme dépotoir est loin d’être unique à Montréal. Il existe des dépotoirs tout le long du fleuve et les dégâts potentiels à certains de nos plus beaux sites dépassent l’entendement.

À lire dans mon prochain blogue.

10 réflexions au sujet de “Jus de vidanges.”

  1. Comme tu le dis si bien “la pratique d‘utiliser (plan d‘eau) comme dépotoir est loin d‘être unique a Montréal“. Je ne suis pas en mesure de prouver mon énoncé mais je crois qu‘il existe encore des résidences qui déversent leurs eaux usées directement dans le lac Brome ainsi que dans plusieurs autres lacs et rivières. Espérant que cette pratique cessera dans un futur rapproché.

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    • Merci Bob. Lorsque nous habitions à Saint-Charles notre troisième voisine, l’ex Gouverneur-Générale Jeanne Sauvé, avait une résidence sans fausse sceptique mais, la merde de la représentante de la reine ne sent pas j’imagine…

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  2. Juste de lire l’expression «jus de vidanges» n’inspirera aucun mixologue dans la préparation d’un cocktail exotique …

    J’imagine qu’à l’époque, l’approche était «si on ne voit pas les déchets parce qu’ils sont enfouis, le problème est réglé», comme s’il était balayé sous le tapis …
    Aujourd’hui, nous payons le prix de l’insouciance passée …

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  3. Merci du témoignage! On ressemble aussi à l’Égypte pour la gestion des déchets. Tu devrais L,envoyer au M. Guilbeault » Il ne le sait peut être pas!

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  4. Bonjour Michel,

    Intéressant ce texte, CSM en 1959 que de souvenirs ici…pour moi c’était le Bus 27 puis Bleury, j’avais 12 ans le 27-08-59, un enfant au Collège classique. Quant aux dépotoirs c’est d’une tristesse inconcevable, tu pourras écrire sur Paris, pas jojo cete nedroit pour la saleté

    Vieille amitié

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  5. Je regardais une émission à TV5 sur les guerres de religion. À chaque bataille les deux camps jetaient les dépouilles des soldats directement dans les rivières le plus près.Le dépotoir situé à coté du Pont Victoria date de très longtemps. Tu as raison la pollution n’intéressait pas beaucoup les politiciens dans le temps, pas plus que la population en général.

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    • Aujourd’hui,ils n’ont pas le choix de s’inquiéter de la pollution mais ils ont aussi la responsabilité de nettoyer les dégâts du passé.

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