La nature ne reconnaît pas les frontières des hommes, ces frontières artificielles créées pour permettre à des nations ethniques de s’isoler de leurs voisins. Aujourd’hui, ce type d’isolationniste est impossible et les pays deviennent de plus en plus des melting pot de différentes ethnies. La terre devient de plus en plus petite et les frontières, qui devaient nous isoler, ne sont plus étanches et n’ont plus vraiment leur raison d’être. Il n’y a jamais eu de frontières pour notre fleuve Saint-Laurent et, depuis toujours, il est envahi par des espèces qui nous viennent de partout dans le monde. Cette migration ne va que s’accentuer avec les changements climatiques. Le fleuve est un reflet de notre société.
Je suis convaincu que plusieurs vous rappelez les discours alarmistes annonçant l’arrivée des moules zébrées dans notre fleuve Saint-Laurent. Elles sont arrivées de l’Ukraine et du sud de la Russie au début des années 90 ; pour les scientistes, cette invasion menaçait la faune du fleuve et ces petites moules d’eau douce devaient, à un moment donné, obstruer nos prises d’eau potable et engendrer des problèmes d’approvisionnement. Mais, voyez-vous, la moule zébrée n’est pas la seule à avoir immigrée de cette région éloignée. La moule quagga, plus grosse que la moule zébrée, est arrivée peu de temps après du même coin de la planète et a ralenti la progression de sa consœur dans le fleuve.
Durant des décennies, les analystes nous mettaient en garde sur les conséquences de ce qu’ils avaient baptisé le péril jaune. Dans ma jeunesse, mon imaginaire voyait l’arrivée massive d’Asiatiques pauvres et malheureux qui chambouleraient notre façon de vivre alors que dans les faits ils sont restés chez eux et ils sont en voie de gouverner le monde. Ce n’est pas les petits Chinois malheureux qui sont venus chez nous, c’est la carpe asiatique (celle qui sort de l’eau lorsqu’elle entend le bruit d’un moteur) qui a d’abord envahi les Grands Lacs et qui prend d’assaut le fleuve Saint-Laurent, le Richelieu et la rivière Saint-François. La carpe asiatique dévore les herbiers, un habitat essentiel à certaines de nos espèces indigènes. Elles deviennent aussi trop grosses pour être dévorées par des prédateurs ; un spécimen de 1,26 m et de 29 kilos a été pêché à Contrecœur par un pêcheur commercial. L’invasion de la carpe asiatique est un problème sérieux.
Dans le passé, l’arrivée d’espèces de l’extérieur était le résultat d’actions de l’homme : dans le cas des moules zébrées, elles ont voyagé dans le ballast des navires venus d’Europe et les carpes asiatiques ont été importées de la Chine par des éleveurs pour ensuite s’échapper dans nos cours d’eau. L’homme y est toujours pour quelque chose, mais ce sont les changements climatiques qu’il faut maintenant surveiller.
Souvent, ces changements sont pour le mieux. Le réchauffement des eaux du golfe du Saint-Laurent a favorisé l’augmentation des calmars dans le golf à un point tel qu’elle pourrait faire l’objet d’une pêche commerciale. Ce même réchauffement favorise la remontée dans le golfe du homard qui nous vient de la côte est américaine.
Alors que je me pose des questions sur l’absence de frontières sur le fleuve Saint-Laurent, nos politiciens (Steven Guilbeault et Benoit Charrette) nous annoncent qu’ils désirent quadrupler la superficie du parc marin Saguenay/Saint-Laurent dans les trois prochaines années. L’objectif de l’agrandissement vise la protection de l’habitat du béluga. Les menaces à l’habitat sont la pollution sonore, le dérangement par la navigation et le réchauffement climatique. J’ai hâte de voir les mesures qui seront adoptées pour contrer ces menaces à l’habitat de nos bélugas et comment nos politiciens vont sauvegarder les frontières inexistantes de ce parc marin.
Penses-tu que si on demande aux navigateurs commerciaux de respecter ces frontières inexistantes ils vont le faire?
Malheureusement non. Un beau cas de « to mistake motion for progress ».