Partie 1 : des doutes
Le matin du 21 février 1966, le lieutenant-gouverneur de la province de Québec Paul Comtois décédait dans l’incendie de Bois-de-Coulonge sa résidence officielle à Québec. Le rapport du coroner est rapidement arrivé à la conclusion d’une mort accidentelle et l’enquête s’est terminée là au soulagement du gouvernement provincial de Jean Lesage. Depuis plus de 50 ans, je conserve des doutes sur l’enquête et ses conclusions.
Paul Comtois avait d’abord détenu le poste de ministre des Mines et des Relevés techniques de 1957 à 1961, avant d’être nommé lieutenant-gouverneur par le premier ministre John Diefenbaker.
La résidence du Lieutenant-Gouverneur, Bois-de-Coulonge, avait été acquise par la Province de Québec en 1870 pour en faire la résidence officielle de la Province et pour y loger les lieutenants-gouverneurs. La majestueuse résidence comprenait 48 pièces, une aile pour y loger les employés et une serre qui servait comme un jardin d’hiver. La décoration intérieure et le mobilier permettaient de recevoir des invités de marque. La reine Élisabeth et le Prince Philippe y ont séjourné lors de leur visite en 1964. Au cours des années, la résidence a reçu, entre autres, la Reine mère et le roi Georges VI ainsi que Sir Winston Churchill.
Les années soixante
Les années soixante sont des années importantes tant pour le Québec que pour le Canada ; le Parti libéral du Québec, avec à sa tête Jean Lesage, entreprend des réformes importantes dans toutes les sphères de la société québécoise. Cet air de changements deviendra la Révolution tranquille alors que la Province prend le contrôle de ses ressources hydrauliques et adopte des mesures législatives pour protéger la langue française. Ces années verront aussi la fin de la mainmise de l’Église Catholique, de connivence avec l’Union Nationale de Maurice Duplessis, sur l’éducation et les services de santé de la Province.
Tous ces changements ont pour conséquence de créer une montée du nationalisme québécois et de faire du Parti libéral une victime de son propre succès. Aux élections du 5 juin 1966, l’Union Nationale, dirigée par Daniel Johnson, se présente avec une plate-forme réclamant de meilleures conditions pour le Québec à l’intérieur de la Confédération canadienne ; Johnson va aussi loin que de menacer d’ouvrir la voie vers la séparation si ses conditions ne sont pas accordées. Durant la même campagne électorale, des groupes plus radicaux proposent d’aller directement vers la séparation et l’indépendance : deux nouveaux partis indépendantistes voient le jour en 1965, le Rassemblement pour l’indépendance nationale (RIN) et le Ralliement national. Ces deux partis obtiennent 9 % des votes lors de l’élection.
Mon grand-père.
Paul Comtois était mon grand-père maternel, le père de ma mère Odette. Au moment de son décès en 1966 j’avais 19 ans et je faisais mon cours classique au Collège Sainte-Marie, une institution dirigée par les Pères Jésuites située au coin de la rue de Bleury et du boulevard Dorchester. (Aujourd’hui René-Lévesque). Le cours classique était un programme d’études générales d’une durée de 8 ans. Les pères jésuites encourageaient la libre pensée surtout si elle penchait vers la gauche avec le résultat que le collège était devenu un terrain fertile pour le mouvement indépendantiste. Certains étudiants se sont même radicalisés à un niveau tel qu’ils ont adopté le terrorisme comme moyen d’action : Paul Rose était l’un de mes confrères de collège. Ce dernier était à la tête de la cellule Chénier du Front de libération du Québec (FLQ).
Certains pourraient penser que le petit fils du représentant de la Reine aurait fait l’objet d’intimidation dans un tel environnement, mais je ne me souviens d’aucun incident sauf pour quelques remarques désobligeantes d’un professeur d’histoire qui ne pouvait se retenir.
C’était il y a 50 ans et, à chaque fois que je pense au décès de mon grand-père, je ne peux m’empêcher de penser que son décès serait peut-être dû à une main terroriste. À titre de représentant de la Reine, Paul Comtois représentait une cible de choix pour un groupe terroriste. L’idée d’effectuer des recherches sur les circonstances entourant son décès m’a toujours trotté dans la tête, mais les obligations de la vie quotidienne m’ont toujours forcé à repousser le projet aux calendes grecques. Durant toutes ces années, j’espérais qu’un journaliste d’enquête ou encore qu’un historien se penche sur le sujet, mais ce ne fut pas le cas.
Un martyr ?
Si les causes de l’incendie n’ont jamais été remises en question, l’idée que Paul Comtois soit décédé en tentant de sauver les saintes espèces de la chapelle du Bois-de-Coulonge a récemment fait l’objet de spéculations dans les médias.
Ces spéculations ont récemment fait l’objet d’articles publiés dans des médias ultra-catholiques tant aux États-Unis qu’en Angleterre. Ces articles maintiennent que Monsieur Comtois aurait pu survivre s’il n’était pas revenu à l’intérieur de l’édifice dans le but express de sauver les saintes espèces gardées dans la chapelle. Dans ces articles publiés entre 2009 et 2013, son décès est décrit comme le « glorieux martyre de Paul Comtois » et les auteurs suggèrent qu’il soit considéré comme un Héros Catholique. Un récent article du magazine Verbe (édition février/mars 2016) revient sur le sujet. Ces spéculations ont toujours entouré le décès de Paul Comtois et cela même quelques jours après sa mort. J’ai toujours été sceptique face à ces théories d’autant plus qu’aucun des auteurs n’est en mesure de mentionner leur source. J’ai donc décidé d’effectuer des recherches.
Dans la deuxième partie, à être publiée le 30 novembre, mes recherches se tournent vers les articles de journaux qui ont suivis le décès.
Tu as toujours eu un petit penchant pour l‘histoire donc ceci doit être passionnant pour toi.