J’ai d’abord monté une collection de livres publiés au Québec au 19e siècle. Je me suis retrouvé avec des livres d’histoire, plusieurs biographies sur des personnalités religieuses, des récits de voyage et des recueils de discours et de sermons, mais très peu de romans.
Alors qu’en France, Émile Zola écrit l’Assommoir, Victor Hugo, les Misérables et Stendhal nous présentent Le Rouge et le Noir au Québec, il y a très peu de romans publiés au Québec. L’Église veillait au grain. Pour elle, la littérature était considérée comme l’arme principale des ennemis de l’Église et il fallait la décourager. C’est l’Église qui dirigeait le Québec à l’époque et le politique n’avait pas d’autre choix que d’obéir.
La conjoncture dans laquelle la littérature du Québec se trouvait au 19e siècle était difficile. Dès 1844, l’évêché de Montréal déclare la guerre aux mauvaises lectures en fondant l’œuvre des bons livres. Mgr Bourget voyait d’un mauvais œil l’ouverture d’une bibliothèque publique sans contrôle aucun sur les livres. Pour l’Église, les œuvres littéraires doivent servir ses intérêts et tenir compte de ses normes morales. L’écrivain a peu de marge de manœuvre et ses sujets sont souvent imposés. Le roman est à proscrire sauf si le sujet est la terre (agriculture), la famille (nombreuses s’il vous plaît) et la religion (catholique évidemment). Le roman qui ne satisfait pas ces critères subit des attaques féroces. Il fait souvent l’objet d’une interdiction ou de censures.
À titre d’exemple, Philippe-Ignace-François Aubert de Gaspé a publié au Canada en 1837 le premier roman québécois. Le livre a vu le jour sous le titre l’Influence d’un livre puis connu un regain de popularité en 1864 lorsqu’il fut choisi pour être donné comme prix dans les écoles du Québec, mais sujet à quelques changements. Avant d’être réédité, l’abbé Henri-Raymond Casgrain a changé le titre pour le Chercheur de trésor. Non seulement va-t-il modifier le titre, mais il insiste pour modifier le mot « amour » par le mot « amitié ». Il a ensuite fait disparaître les mots « baiser » et « sein » tout en faisant disparaître les jurons, les allusions à la danse et les manifestations d’amour. Censure et arrogance point finale.
L’Influence d’un livre est un roman d’aventures qui met en scène les mésaventures d’un paysan qui, suite à la lecture d’un recueil de recettes magiques, veut percer le secret de l’alchimie avec l’objectif de devenir riche. À l’intrigue s’ajoutent un assassinat et une histoire d’amour. Le roman n’est pas bien reçu et les critiques sont si sévères que l’auteur s’exile à Halifax où il meurt subitement en 1841.
Certains ont défendu ces pratiques, soutenant que la littérature du 19e siècle était une littérature du terroir qui défendait la culture canadienne-française et son mode de vie traditionnelle. À cette époque, le bon peuple ne lisait pas, non par manque d’intérêt, mais parce que la majorité était illettrée. Le public lettré était restreint et préférait lire la littérature qui nous venait de France. Il n’y a pas si longtemps, à peine cinquante ans, je faisais mon cours classique et nos lectures obligées étaient les œuvres de Zola, Stendhal et Hugo. Il faut attendre la Révolution tranquille pour s’ouvrir aux auteurs québécois.
J’ai dans ma collection quelques romans de cette époque dont le roman historique Jacques et Marie, Souvenir d’un peuple dispersé de Napoléon Bourassa publié en 1866. J’ai aussi Hélika, Mémoire d’un vieux maître d’école de Charles Deguise, un roman de mœurs indiennes publié en 1872. Dans les deux cas, il s’agit de 1re édition introuvable aujourd’hui sur les plateformes de ventes en ligne.
Fort intéressant Michel. Merci!
TU as raison Louis-Michel. Moi aussi j’ai débuté mon cours classique au Séminaire St-Jean en 1952 et tout ce qu’on avait le droit de lire devait porter l’approbation de la Sainte Église.
Bonjour Michel,
Pour ma part, je suis entré au Ste-Marie en 1963, et me souviens très bien de la vieille bibliothèque du collège…..moins accessible aux petits. On savait très bien ce qu’était d’être à l’index.
Quant au contexte, on était déjà en plein dans les grands changements au Québec. En 1964, l’arrivée des Beatles….la Librairie Tranquille….le FLQ….
Les Fortins de la rue Walnut étaient cousins des Boutet de la rue Merton. Tous issus de LaPocatière, on était très proches du terroir. Le grand-papa Fortin, Louis-de-Gonzague Fortin était prof de zootechnique à l’Ecole d’agriculture….et le grand-papa Boutet, chef de pratique à la ferme expérimentale de 1907 à 1952. Chef-lieu de l’agronomie au Québec, et d’un puissant archevêché, LaPocatière aura donné au Québec un Adélard Godbout, lui-même agronome.
Le premier, Louis-d-G, enseignant d’agronomie, avait ressuscité la Gazette des Campagnes de 1941 à 1956 (Journal du cultivateur et du Colon-1861-1895), afin de maximiser la pénétration des enseignements modernes chez les cultivateurs.
Le second développait les races bovines et équines, ainsi que les pratiques agricoles.
En ces années du Duplessisme, on reconnaîtra les valeurs profondes de la société québécoise dans la devise du journal:
DIEU.PATRIE.FAMILLE.
Lire les éditoriaux de notre grand-père nous fait vraiment voyager dans le temps.
Wow, fort intéressant! Beaucoup d‘heures de recherches n‘est-ce-pas?